Il était une fois des capitaines, un équipage et son vaisseau qui a failli être englouti sous les flots et qui a dû rester à quai. Voici notre histoire dont la chronologie est un peu confuse, entre les nuits blanches et les montagnes à déplacer, les choses ont un peu tendance à se mélanger, mais l’essentiel y est.
Dimanche 29 et lundi 30 Mai : les orgas et une partie de l’équipe débarquent à Selles-sur-Cher. La première mission : amener sur place et monter les barnums. La pluie n’en finit pas. Impossible de se sécher, tout est trempé, le tas de linges mouillés grossit à vue d’œil, nous renonçons à vivre au sec. Les pieds trempés, plein d’ampoules, avec l’eau c’est pas très beau à voir.
Le bruit commence à courir qu’il pleut beaucoup trop et que des inondations sont possibles plus au nord. Nous, du haut des remparts du château nous pensons que nous ne craignons rien. Nous regardons en permanence les infos routières car l’équipe arrive petit à petit, et tout va bien, à l’exception des problèmes de train et d’avion mais que nous avons anticipé du mieux que nous pouvons.
Mardi 31 Mai : L’eau commence à monter, des membres de l’équipe mettent un temps fou à arriver, d’autres sont bloqués dans des gares, pour les autres tout va bien. Après une réunion, nous décidons de nous préparer à accueillir des réfugiés de la route, mais pour le moment à Selles tout va bien. Côté montage des structures c’est rude, on a pris du retard à cause de l’eau et de la cour médiévale en chantier. Et puis il fait froid. Heureusement nous ne manquons pas de chaleur humaine.
Mercredi 1 Juin : L’eau arrive d’un coup, coup de théâtre, le camping qui postait pourtant des textes rassurants, annonce qu’il est inondé. La communauté des GF, les sellois et notre équipe s’organisent pour trouver des solutions d’hébergement pour ceux qui étaient logés au camping. Nous découvrons l’existence de Vigicrues avec lequel nous allons vivre désormais en permanence. Nous ne comprenons pas pourquoi les infos ne correspondent pas à ce que nous observons.
A l’œil, le Cher monte vite mais reste dans la limite de son lit même si ça devient un king size. Il ne pleut plus, la météo s’annonce clémente voire belle pour la fin de semaine. Vigicrues parle d’un niveau stable voire en baisse. Comme nous sommes plutôt pessimistes, nous maintenons notre plan d’urgence.
Nous stockons de l’eau et des vivres pour notre équipe, sur place nous sommes 70 plus d’éventuels naufragés. Nous décidons d’appeler les bénévoles qui ne sont pas encore arrivés pour leur dire de ne pas venir sauf infos contraires des pouvoirs publics. Nous commençons à prévenir sur les réseaux sociaux.
Nous savons maintenant que la ville de Romorantin, à ¼ d’heure de là est sinistrée, de même que la ville d’Orléans.
Jeudi 2 Juin : Dans la fin de matinée, une délégation de la mairie vient nous avertir qu’une décision du Préfet devrait arriver dans l’après-midi pour interdire ou non toutes les manifestations du Loir-et-Cher. Nous mettons le montage en stand-by. Nous avons besoin de cet arrêté pour officialiser notre réaction. Nous attendons et nous sommes de plus en plus impatients. La situation est complexe, le montage est minuté et un retard peut s’avérer catastrophique. Par ailleurs nous devons anticiper le cas où nous serions interdits, et, dans ce cas prévoir d’être nous mêmes sinistrés, voire d’avoir à accueillir des festivaliers dans la galère. Pour nous chaque minute compte, et des festivaliers se mettent en route. Beaucoup nous contactent pour savoir quoi faire. Nous ne pouvons que répondre d’attendre les infos. Aucun contact officiel, nous regrettons amèrement le manque de synergie avec nous dans la gestion de la crise. Et Vigicrues qui ne correspond toujours pas à ce qu’on observe. Des gens nous appellent pour nous dire que les Geek Faëries ont été interdites. Tant mieux mais nous on n’a rien d’officiel. A la fin de l’après-midi, nous finissons par avoir notre papier et on le diffuse immédiatement.
Et le Cher continue de monter, les rumeurs les plus dingues circulent sur Selles et sur les autres villes. Il parait que les deux ponts vont être coupés. Il n’existe plus qu’une seule voie d’accès à Selles, les autres sont coupées. Ce qui reste est totalement surchargé.
Mais pourquoi l’eau monte t-elle aussi vite ? Et pourquoi est-ce qu’on n’a pas d’infos ?
A partir de jeudi soir, le temps devient une matière élastique où tout s’emmêle. Nous décidons de faire le festival en streaming. Par hasard, et par la présence d’esprit de certains qui ont ramené du matériel en surplus, on a assez de matos du OnTheWeb sur place pour faire deux flux. C’est à ce moment que Shun Geek nous fait la surprise de nous dire qu’elle a contacté nos invités pour faire une collecte de dons via Tipeee. A plusieurs, ils s’organisent pour constituer un programme. Objectif : proposer une autre date. Pourquoi une collecte ? Parce que dans une association, l’argent qui ne rentre pas (le manque à gagner en termes commerciaux), ça veut dire la mort de la prochaine édition et donc la mort des GF.
Nous avons moins de 24h nuit comprise, pour préparer, installer et configurer les OnTheWater.
Mauvaise surprise : la connexion de notre machine-relais n’est pas stable, un câble ou une armoire a dû prendre l’eau quelque part dans la ville. Nous avons absolument besoin d’une machine pour servir d’intermédiaire entre notre connexion au Château et le serveur de streaming. Une grande entreprise nous propose son serveur, nous ne divulguons pas le nom car c’est officieux à l’arrache mais on les remercie du fond du cœur.
Au Château, malgré deux lignes ADSL, le débit en upload est très limité. La moindre optimisation compte, et la 4G n’est plus utilisable.
Dans l’équipe l’ambiance est soudée, chaleureuse. Certains sont désœuvrés, l’équipe des OTW est débordée, nous formons des gens à l’arrache et des talents se révèlent. Pour certains la fatigue est tellement extrême que nous sommes comme saouls. Ça nous aide à en rire. Ceux qui ont amené un costume décident de le mettre parce que voilà. On fait une photo épique, l’un d’entre nous s’installe sur la rive d’en face avec le 300mm. Dans le jardin où il s’est installé, y’a un gros chien qui lui tient compagnie. Pendant ce temps-là un ULM passe, on est sur la photo.
En même temps il faut gérer la crue : le niveau d’eau du Cher dépasse celui de l’écluse des douves, la pompe des eaux usée, rebaptisée Mme de Pompadouve, passe dans la cave du château pour sauver des eaux l’armoire électrique. Grâce au dispositif de secours, on aura au moins de la lumière quoi qu’il arrive. Il n’y aura qu’une petite coupure de courant due aux infiltrations d’eau : l’infrastructure électrique est taillée pour ces conditions extrêmes.
On n’a pas de douches pour se laver, des Sellois viennent nous proposer des douches, de la nourriture et nous font des dons.
Et nous avons enfin l’explication de pourquoi l’eau monte si vite, grâce à des explications officieuses mais d’une personne fiable. Les villes en amont qui sont submergées « lâchent du lest » et ouvrent les vannes des barrages de rétention anti-crue. Nous vous renvoyons au grand Internet pour des explications techniques justes et précises. En résumé, nous sommes en aval des villes qui nous envoient de l’eau en plus de l’eau qui déborde déjà.
Parallèlement, nous prévenons un maximum de gens individuellement ou par groupe.
Notre fournisseur de pain est sous l’eau. Nous n’aurons pas de pain. Par ailleurs, le supermarché, le Super U de Selles sur Cher, que nous saluons bien bas pour son aide maximum bien que son magasin risque également d’être noyé, gère avec nous de quoi accueillir des sinistrés, car le bruit court que la ville risque aussi d’être inondée. Le propriétaire du Château nous apporte tout le soutien qu’il peut.
Nos chambres d’hôtel situées dans la ville sinistrée sont menacées d’être réquisitionnées. Nous les annulons pour faire place à des réfugiés.
Pour rajouter au spectacle, la nuit des gens pas très sympathiques passent le mur d’enceinte. Nous leur répondons par des rires et des chansons. Ça finit par fonctionner au bout de deux nuits blanches.
Samedi 4 Juin : le matin, nous commençons le live avec une heure de retard pour le Flux 1. Enfin un truc normal ;)
Le Flux 2 est plus en retard parce qu’on a juste pas le temps de s’occuper du programme. On finit par y arriver. Il est constitué des compétences des membres de l’équipe.
Certains invités nous rejoignent quand même sous la conduite de Nota Bene et de Seriously des Topovaures, 5 autres chaines sont également venues en solidarité, Histoire Brève, Révisons nos Classiques, Pilote, les chroniques de Vesper, Linguisticae. Gull de Hacking Social, traverse la moitié du pays coûte que coûte pour être avec nous. Parallèlement, les rôlistes qui sont increvables parce qu’ils ont des points de vie en rab, enregistrent des parties avec un super décor improvisé avec les ressources de l’équipe.
L’équipe qui était désœuvrée remballe le festival : nous devons réussir à réempaqueter l’ensemble du matériel avec l’objectif de le faire repartir sur le terrain le plus rapidement possible, car en cas de report il n’est pas envisageable d’organiser des week-ends de préparation. Nous sommes tous motivés à faire ça bien.
La pluie nous laissant enfin tranquille, un atelier menuiserie se monte pour construire les tables restantes, et la meuleuse tourne pour finaliser des piquets de barnum.
Dimanche soir : la collecte des OnTheWater est un succès. Ça passe juste mais nos invités ont d’autres idées ;) Nous terminons dans un état d’épuisement rarement atteint. Complètement éberlués de ce qui s’est passé. Toute une partie du pays est en état de catastrophe naturelle alors que nous étions au sec une fois que la pluie s’est arrêtée. Et pourtant, au château c’est passé à un cheveu. Nous servons désormais de repas aux moustiques modèle maxi batifolant sur notre rivage.
Il est temps de remercier Shun qui a fait un travail de dingue, à l’équipe du Joueur du Grenier, Bruce de e-penser, LinksTheSun, JBX (Reflets d’Acide), Fanélia, Chane, l’Odieux Connard, Remouk (DansTonChat), François Theurel (le Fossoyeur de Films), Antoine Daniel, Pouhiou, Hacking Social, OnVautMieuxQueCa, les webséries qui étaient prévues au programme dont Warren Flamel, ainsi que ceux cités plus haut. Merci à Korben pour son article, à TomSka pour ses tweets. Merci à tous ceux qui n’ont pas eu le temps de se mobiliser ou d’être mobilisés.
Merci aux Sellois.
Merci à vous tous.
Du fond du cœur.
Nous étions trop occupés à gérer la crise, nous n’avions pas le temps de demander de l’aide, vous nous l’avez apportée spontanément.
Grâce à tous, nous avons pu manger, nous laver, faire un live, et sauver l’avenir du festival.
Nous avons eu quelques minutes pour pleurer de désespoir, nos larmes ont été séchées instantanément, portés que nous étions par une immense vague de soutien.
Mais ne nous en cachons pas, y’en a marre. Nous avons besoin d’arrêter de prendre sur la gueule des problèmes en série. Ok on a certainement un jour insulté un pote à Cthulhu mais ça commence à bien faire. Les choses doivent changer, nous devons être moins vulnérables aux intempéries, aux gens qui n’aiment pas les geeks, aux pique-assiettes et aux faitdufricsurnotredos. Tout cela nous atteint plus que cela ne devrait. Il est temps pour nous de renforcer notre armure.
Nous avons des idées, des super idées, des solutions techniques et une équipe surqualifiée. Alors aujourd’hui, nous partons en campagne chercher de l’aide. Nous avons fait nos preuves, il est temps d’avoir un peu de confort pour mieux créer.